(Suite de l'entretien publié sur LYon-Actualités.fr) Après son élection, le président Hollande
a tenté d’ajouter un volet de soutien de la
croissance à la stratégie européenne de lutte
contre la crise. Pourtant, ses tentatives
n’ont pas donné de grands résultats.
Lorsqu’un gouvernement national est face à une
urgence, si son administration est efficace, il peut réagir
rapidement. En revanche, la mauvaise gouvernance de
l’euro et les règles administratives [de Bruxelles] ralentissent excessivement l’action européenne. Les belles
paroles ne suffisent pas, les peuples souffrent trop et
commencent à s’inquiéter, y compris dans les économies les plus solides. Ils veulent voir des gestes concrets
de la part de l’Europe, que les choses s’accélèrent. S’il
y a un trésor de 120 milliards, il faut le casser avec une
hache et ouvrir le coffre.
Le président Hollande et la chancelière Merkel
ont récemment signé une déclaration conjointe,
cherchant ainsi à surmonter leurs divergences. Qu’en
pensez-vous, sachant que l’Europe ne fonctionne
pas si Paris et Berlin ne s’entendent pas ?
Laissez-moi vous expliquer ma philosophie de la gestion
de l’Europe. L’alliance franco-allemande est nécessaire,
mais elle n’est pas suffisante. Lorsque je présidais la
Commission, je peux vous assurer que l’Espagne ou le
Portugal étaient des pays qui pesaient sur les décisions.
Aujourd’hui, tous les pays doivent à nouveau pourvoir
faire entendre leur voix. Il faut que le Premier ministre
portugais, quand il revient de Bruxelles, puisse dire :
je ne me suis pas seulement soumis à un traitement
difficile, j’ai participé aux décisions en vertu du partage de souveraineté. Nous ne pouvons plus donner
une image de l’Europe comme celle que renvoyaient
Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Il faut que chaque
pays prenne part aux décisions et entretienne la fierté
de son peuple.
Votre philosophie est peut-être parfaite mais,
ces derniers temps, la réalité est toute autre.
Ce n’est pas une raison suffisante pour que je renonce à
mes idées. Car elles ont marché.
Absolument. Mais de nos jours, l’Europe ne peut
rien décider contre la volonté de l’Allemagne.
C’est une évolution majeure. Comment considérez vous ce nouveau pouvoir de l’Allemagne ?
Le fait que la majorité des pays de la zone euro aient
connu des difficultés tandis que l’Allemagne s’en sortait plutôt bien a fait pencher le rapport de forces en sa
faveur. Mais c’est une situation provisoire. Même si la
structure de l’économie allemande est satisfaisante, je
vous rappelle que son taux de croissance ne sera que
de 0,8 % cette année. Je pense donc que le moment est
venu pour les autres pays d’exiger une souveraineté
partagée. Ils doivent admettre leurs propres difficultés,
mais sans pour cela développer un sentiment de culpabilité face à l’Allemagne. D’autant que pour obtenir
une croissance sans inflation ni endettement, les pays
devront emprunter des chemins différents, même s’ils
vont tous dans la même direction. Les structures économiques ne sont pas identiques…
Croyez-vous que l’Allemagne comprenne
cela ? Jusqu’ici, le remède a été le
même pour les différents pays.
Elle le comprend de mieux en mieux. Évidemment, il
va y avoir des élections en septembre dans ce pays et
cela ne facilite pas les choses, mais je ne désespère pas.
Quand j’étais à la tête de la Commission, tous les pays
comptaient.
C’était une autre époque…
Oui, mais il faut retrouver ce principe de fonctionnement. Pas avec un vieil homme de 88 ans, mais il y en a d’autres, plus jeunes et qui pensent comme moi, qui peuvent y parvenir.
Hollande a obtenu une sorte de compromis avec Merkel: l’austérité, mais aussi la croissance… C’est une ouverture, mais nous ne pouvons pas en dire plus pour le moment. Le document est encore très vague, mais il a une ouverture. Les autres États membres de la zone euro doivent s’approprier ce texte, en s’appuyant sur ses points forts, pour réussir un rééquilibre entre le soutien à la croissance à court et moyen terme, la consolidation des finances publiques et l’harmonisation progressive des systèmes fiscaux au sein de l’UEM.
Certains analystes estiment que l’accord franco-allemand vise surtout à garantir que la France fera des réformes structurelles.
Non, on ne peut pas dire cela. La discussion entre Français et Allemands a toujours été difficile, mais elle l’est encore plus actuellement en raison de la nette supé- riorité de l’économie allemande sur la française. Donc, que ce soit avec Sarkozy ou avec Hollande, les choses restent extrêmement compliquées. Néanmoins, les deux pays vont dans la bonne direction. Comme je l’ai expliqué devant la Fondation Gulbenkian le 5 juin dernier, il faut une coopération renforcée au sein de l’UEM pour la doter d’une capacité de décision rapide : il faudrait pour cela un président de l’Eurogroupe, un budget autonome de la zone euro qui constituerait – pour utiliser un terme que vous connaissez bien – une sorte de superfonds de cohésion, et en troisième lieu un instrument de stabilisation du cycle économique. La création de ce super-fonds permettrait à des pays comme le Portugal, la Grèce, l’Espagne et d’autres de rétablir une structure [économique] pérenne, s’appuyant sur une base industrielle et des capacités de recherche suffisamment solides. Il est nécessaire de mettre en place ce que j’ai fait en son temps lors de l’adhésion du Portugal avec l’adoption du PEDIP (Programme spécifique européen de développement de l’industrie portugaise) : c’est cet esprit de cohésion qu’il faut déployer dans la zone euro, avec des moyens spécifiques.
Et vous pensez que l’Allemagne est prête à accepter ces propositions ?
S’il est vrai que l’incendie s’est un peu éloigné, nous sommes toujours au bord du gouffre.
Vous avez déjà dit cela il y a deux ans.
C’est vrai. En août 2011. Parce que l’on ne faisait rien, même les pompiers n’avaient pas de lance à eau. Je crois qu’à l’époque cela a un peu ébranlé les responsables car il n’est pas dans mes habitudes de hausser le ton à ce point. Certaines choses ont été faites depuis, mais ce n’est pas encore suffisant.
Vous dites que l’économie allemande est très forte, peut-être parce qu’elle s’est mieux adaptée à la mondialisation, contrairement à la France et aux pays du Sud. C’est la véritable raison ?
Oui. Nous, qui ne sommes pas Allemands, nous ne pouvons pas espérer que ce pays aille mal pour que nos économies convergent. L’Allemagne a fait un effort considérable au cours de ces dix dernières années, mais elle a aussi bénéficié de son appartenance à la zone euro et de l’élargissement. Elle peut désormais sous-traiter dans les pays de l’Est, tels que la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie ou la Pologne. En revanche, les autres pays se sont laissé vivre et n’ont pas fait cet effort.
Nous pensions que l’euro nous protégeait…
Ce sont un euro fort et des taux d’intérêt faibles qui ont créé les bulles financières en Espagne, en Irlande et un peu ici, au Portugal. Mais ce qui vous distingue des autres, c’est que même dans la douleur, les Portugais veulent se sortir de cette situation, il règne ici un fort esprit civique. Les mesures de la troïka sont en cours d’application, peut-être avec un certain excès de zèle car il n’y a pas d’équilibre entre l’économie et la monnaie. Néanmoins, et pardonnez-moi de le dire, le Portugal est un bon élève. Mais ce bon élève n’a pas seulement besoin que l’incendie s’éloigne, il faut lui donner la force de reconstruire une économie durable pour les dix prochaines années. Cela, c’est le rôle de l’Europe.
Le problème, c’est qu’ici comme en Grèce ou en Espagne, le coût social est énorme. Et comme nous sommes en démocratie, il y a des limites à ne pas dépasser, même chez les bons élèves. Les démocraties ne supportent pas tout.
Vous avez raison de dire que la situation actuelle représente un risque pour la démocratie. Il y a des mouvements antieuropéens et populistes, mais aussi des mouvements initiés par des citoyens qui n’en peuvent plus. Il faut avoir tout cela en tête et les dirigeants européens doivent veiller à ce que ces pays ne franchissent pas la ligne rouge.
C’était une autre époque…
Oui, mais il faut retrouver ce principe de fonctionnement. Pas avec un vieil homme de 88 ans, mais il y en a d’autres, plus jeunes et qui pensent comme moi, qui peuvent y parvenir.
Hollande a obtenu une sorte de compromis avec Merkel: l’austérité, mais aussi la croissance… C’est une ouverture, mais nous ne pouvons pas en dire plus pour le moment. Le document est encore très vague, mais il a une ouverture. Les autres États membres de la zone euro doivent s’approprier ce texte, en s’appuyant sur ses points forts, pour réussir un rééquilibre entre le soutien à la croissance à court et moyen terme, la consolidation des finances publiques et l’harmonisation progressive des systèmes fiscaux au sein de l’UEM.
Certains analystes estiment que l’accord franco-allemand vise surtout à garantir que la France fera des réformes structurelles.
Non, on ne peut pas dire cela. La discussion entre Français et Allemands a toujours été difficile, mais elle l’est encore plus actuellement en raison de la nette supé- riorité de l’économie allemande sur la française. Donc, que ce soit avec Sarkozy ou avec Hollande, les choses restent extrêmement compliquées. Néanmoins, les deux pays vont dans la bonne direction. Comme je l’ai expliqué devant la Fondation Gulbenkian le 5 juin dernier, il faut une coopération renforcée au sein de l’UEM pour la doter d’une capacité de décision rapide : il faudrait pour cela un président de l’Eurogroupe, un budget autonome de la zone euro qui constituerait – pour utiliser un terme que vous connaissez bien – une sorte de superfonds de cohésion, et en troisième lieu un instrument de stabilisation du cycle économique. La création de ce super-fonds permettrait à des pays comme le Portugal, la Grèce, l’Espagne et d’autres de rétablir une structure [économique] pérenne, s’appuyant sur une base industrielle et des capacités de recherche suffisamment solides. Il est nécessaire de mettre en place ce que j’ai fait en son temps lors de l’adhésion du Portugal avec l’adoption du PEDIP (Programme spécifique européen de développement de l’industrie portugaise) : c’est cet esprit de cohésion qu’il faut déployer dans la zone euro, avec des moyens spécifiques.
Et vous pensez que l’Allemagne est prête à accepter ces propositions ?
S’il est vrai que l’incendie s’est un peu éloigné, nous sommes toujours au bord du gouffre.
Vous avez déjà dit cela il y a deux ans.
C’est vrai. En août 2011. Parce que l’on ne faisait rien, même les pompiers n’avaient pas de lance à eau. Je crois qu’à l’époque cela a un peu ébranlé les responsables car il n’est pas dans mes habitudes de hausser le ton à ce point. Certaines choses ont été faites depuis, mais ce n’est pas encore suffisant.
Vous dites que l’économie allemande est très forte, peut-être parce qu’elle s’est mieux adaptée à la mondialisation, contrairement à la France et aux pays du Sud. C’est la véritable raison ?
Oui. Nous, qui ne sommes pas Allemands, nous ne pouvons pas espérer que ce pays aille mal pour que nos économies convergent. L’Allemagne a fait un effort considérable au cours de ces dix dernières années, mais elle a aussi bénéficié de son appartenance à la zone euro et de l’élargissement. Elle peut désormais sous-traiter dans les pays de l’Est, tels que la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie ou la Pologne. En revanche, les autres pays se sont laissé vivre et n’ont pas fait cet effort.
Nous pensions que l’euro nous protégeait…
Ce sont un euro fort et des taux d’intérêt faibles qui ont créé les bulles financières en Espagne, en Irlande et un peu ici, au Portugal. Mais ce qui vous distingue des autres, c’est que même dans la douleur, les Portugais veulent se sortir de cette situation, il règne ici un fort esprit civique. Les mesures de la troïka sont en cours d’application, peut-être avec un certain excès de zèle car il n’y a pas d’équilibre entre l’économie et la monnaie. Néanmoins, et pardonnez-moi de le dire, le Portugal est un bon élève. Mais ce bon élève n’a pas seulement besoin que l’incendie s’éloigne, il faut lui donner la force de reconstruire une économie durable pour les dix prochaines années. Cela, c’est le rôle de l’Europe.
Le problème, c’est qu’ici comme en Grèce ou en Espagne, le coût social est énorme. Et comme nous sommes en démocratie, il y a des limites à ne pas dépasser, même chez les bons élèves. Les démocraties ne supportent pas tout.
Vous avez raison de dire que la situation actuelle représente un risque pour la démocratie. Il y a des mouvements antieuropéens et populistes, mais aussi des mouvements initiés par des citoyens qui n’en peuvent plus. Il faut avoir tout cela en tête et les dirigeants européens doivent veiller à ce que ces pays ne franchissent pas la ligne rouge.
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